Au début, il était tétanisé. Lui, l'ancien ado rebelle, l'autodidacte diplômé d'un BEP de commerce, sur les plateaux de télévision pour parler au nom de la grande distribution ? Et puis, au fil du temps, il les a tous faits. Il est même devenu ces derniers mois ce que les médias appellent "un bon client", toujours disponible pour débattre du pouvoir d'achat ou défendre la grande distribution face aux fournisseurs. "Pas toujours, corrige-t-il immédiatement. Je ne prends la parole que si ça peut rendre service à la communauté de commerçants que je représente. Je n'irai jamais chez Ruquier ou chez Ardisson, par exemple."
Serge Papin est un homme de communication. Mais il est aussi, depuis 2005, le PDG des "nouveaux commerçants" (Hyper U, Super U, Marché U), un groupement de 876 magasins indépendants. Chiffre d'affaires : plus de 16 milliards d'euros. Part de marché : près de 9 %. La cinquantaine fringante, le tutoiement facile, le capitaine du bateau a de la tchatche.
L'inévitable comparaison avec son concurrent Michel-Edouard Leclerc a le don de l'irriter. "Je ne fais pas la course avec Michel." Chez Carrefour ou Auchan, certains trouvent qu'il en fait un peu trop. Mais les mêmes louent son courage, son art de défendre la profession. Michel-Edouard Leclerc lui-même relève un mimétisme certain. Mais considère que sa présence dans les médias est une bonne chose : "Je commençais à me sentir un peu seul. Et puis, au fil du temps, son discours s'est structuré, il n'est plus seulement en défense ou en attaque. Serge a mûri."
L'un est breton dans l'âme, l'autre est un amoureux inconditionnel de la Vendée, dont il peut raconter l'histoire pendant des heures. Mais la comparaison a ses limites. Car si Serge Papin a baigné dès sa naissance dans la distribution alimentaire, il n'est pas un "fils de". Son enfance n'a pas été très gaie. Ses parents tenaient un petit magasin d'alimentation. "Il y avait peu d'intimité familiale. Le client passait avant tout... C'est une période un peu douloureuse de ma vie." Pour arrondir les fins de mois, son père chine dans les campagnes. "A 3 ans, il m'asseyait dans un grand cageot profond comme dans un couffin, dans son camion-magasin" , se souvient-il. A 10 ans, c'est le grand déménagement... La famille quitte Saint-Gilles-Croix-de-vie, s'installe dans le bocage pour reprendre un magasin Codec. C'est un déchirement - "J'ai vécu ça comme un changement de pays, de culture."
L'adolescence n'est guère plus joyeuse. Envoyé en pension chez les jésuites à son entrée en 6e, il ne supporte pas de devoir se taire. "C'était horrible. Tout était interdit. Cela m'a forgé une mentalité de rebelle." Sa scolarité se dégrade vite, il se fait exclure en 3e et entame une année de comptabilité, le temps d'apprendre à taper avec ses dix doigts et à prendre en sténo. Il n'a qu'un BEP de commerce en poche, mais il a lu Boris Vian, Albert Camus et René Char. Manutentionnaire, à 17 ans, dans un Intermarché, il aurait pu virer syndicaliste s'il y était resté. "On était mal considéré, mal payé..."
Naturellement, c'est dans le secteur de la communication qu'il a commencé sa carrière chez Système U. En même temps, il devient propriétaire d'un magasin à Fontenay-le-Comte, toujours en Vendée. Sans grande conviction. "J'avais le sentiment de reproduire un modèle que je refusais dans ma jeunesse, mais je me suis laissé entraîner." A l'époque, il a du mal à faire des choix. Il hésitera longtemps à prendre le pouvoir chez Système U, alors qu'il est le dauphin naturel de Jean-Claude Jaunnay.
Lorsque le groupe est en discussion avec Leclerc en vue d'un rapprochement, il préfère partir plutôt que de s'opposer à cette solution. Mais il reviendra et, en interne, on lui fera payer ce retour. "Les mecs ne m'attendaient pas. Moi j'étais déterminé à préserver l'indépendance de Système U." Il espère avoir, en 2010, 1 000 magasins, 10 % de parts de marché et un chiffre d'affaires de 10 milliards d'euros.
"Il a une influence extrêmement positive sur son groupe, reconnaît Olivier Desforges, président de l'ILEC, une association qui représente les plus grands fournisseurs. Il est à l'écoute de son mouvement. C'est un type sain." Le patron de la Fnac, Denis Olivennes, voit en lui "quelqu'un de sympathique, de chaleureux, d'abordable, qui ne se prend pas la tête". Bref, le pouvoir l'a peu changé. "Il y a des choses que je ne pourrais pas faire" , dit-il : jouer au golf, rouler en Mercedes, habiter dans le 16e arrondissement, faire partie du Rotary Club. "Ce sont des signes de conventions bourgeoises."
Il revendique son côté provincial. Il a gardé un magasin en Vendée, dont il a délégué l'exploitation à un cousin. "Parfois, quand je suis dans certains milieux, je fais un effort." Ses réseaux ne sont pas du côté des patrons du CAC 40, mais plutôt de ses collègues qui gèrent des magasins U. Il raconte volontiers qu'il était le seul à ne pas porter de cravate lors de sa visite avec les autres distributeurs, en octobre, à l'Elysée, pour rencontrer Nicolas Sarkozy. Et en profite pour glisser dans la conversation que "Sarko" n'était pas son candidat, mais qu'il espère qu'il réussira. Il cultive volontiers un petit côté mal élevé : "Une fois, j'étais invité dans un club de patrons pour prendre la parole, c'était tellement chiant, je me suis levé et je suis parti."
S'il habite Saint-Germain-des-Prés - et bientôt le 7e arrondissement - c'est parce que "franchement, si tu habites Paris, c'est là qu'il faut être". Ce quartier lui rappelle ses auteurs préférés, habitués des lieux. Comme René Char, qu'il met au-dessus de tous les autres, et qu'il cite : "Emerge à ta propre surface. Que le risque soit ta lumière, comme un vieux rire dans une entière modestie." Il assure que c'est une phrase-clé pour lui. "Il faut que les jeunes n'hésitent pas à prendre des risques , s'enflamme ce père de quatre filles. Aujourd'hui, on vit dans une société où l'on s'affranchit de tous les risques, dans une société anxiogène."
Lui-même mange bio et, s'il fume, il se limite aux cigarettes sans additif. Ancien triathlète, il court le week-end au jardin du Luxembourg ou sur les quais de la Seine. Il dit ne pas se projeter dans l'avenir et vivre au jour le jour. "Quand on n'est pas occupé à naître, on est occupé à mourir", disait Bob Dylan. Qu'il vénère.
Parcours
1955
Naissance à Saint-Gilles- Croix-de-Vie (Vendée).
1972
BEP de commerce.
1976
Entre chez Système U.
1981
Achète son premier magasin Super U.
2004
Prend la direction générale des enseignes Système U.
2005
Devient PDG du groupement
Source : Le Monde.fr
1 commentaire:
M. Papin, qu'en est-il de la politique du déploiement de City U ? http://bit.ly/d902g5
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